Discours 75ème anniversaire MASSACRE D’ASCQ Avril 2019

Mesdames et Messieurs les représentants des Corps Constitués, Nationaux, Régionaux, Départementaux, Métropolitains et Villeneuvois,

Mesdames et Messieurs les représentants des forces qui assurent notre sécurité, armée, gendarmerie, police nationale, police municipale, sapeurs pompiers,

Mesdames et Messieurs les représentants des anciens combattants et des ordres honorifiques, ainsi que de nos associations villeneuvoises,

Mesdames, Messieurs les représentants de votre ville jumelle de Leverkusen,

Mesdames et Messieurs les élus de la Ville de Villeneuve d’Ascq, des villes voisines et des différentes autres collectivités,

Monsieur le Député,

Monsieur le Maire honoraire,

Mesdames et Messieurs les membres et proches des familles des 86 Massacrés d’Ascq,

Mesdames,

Messieurs,

Chers enfants qui nous avez accompagnés hier soir et aujourd’hui,

Mes Chères concitoyennes et mes chers concitoyens.

Il y a 40 ans, le 08 avril 1979, ici même, pour le 35ème anniversaire du massacre d’Ascq, je commençais ainsi mon discours, (je cite) :

1er avril 1944 – 22h45 – Un convoi ferré roule à 25km/h. Une explosion se produit. Quelques wagons déraillent et la locomotive s’arrête.

Un quart d’heure se passe où tout paraît calme, puis brutalement des ordres fusent, stricts, précis et brutaux.

Des fusils, des mitrailleuses et des revolvers entrent en action.

Blottis dans leurs maisons, les habitants se demandent ce qui se passe.

Mais au fond d’eux-mêmes ils sentent la mort rôder.

Au fond d’eux-mêmes ils sont glacés d’épouvante.

Deux jours après, un journal « le réveil du Nord » publiera dans la rubrique Ascq Etat-Civil, la liste de 86 fusillés.

1er avril 1944 – L’horreur et l’épouvante se sont emparées des habitants d’Ascq et les ont frappés.

Oui, l’enfer et la barbarie existent.

Ils les ont découverts en une nuit tragique, après et avant bien d’autres cités martyrisées en France, en Europe et ailleurs.

Nous voici donc rassemblés devant une page d’histoire

nous voici rassemblés devant une tâche de sang.

Nous nous devons au souvenir.

Nous le devons aux victimes, à leurs veuves, à leurs enfants, à leurs familles, à leur village. Nous nous inclinons devant eux.

Nous le devons à tous ceux qui ont vécu cette période sombre de notre histoire.

Nous le devons à tous les autres, qui plus jeunes, ignorent trop souvent le sacrifice de leurs aînés.

Notre responsabilité est aujourd’hui immense, à un moment où des guerres et des conflits de toutes formes s’allument, tour à tour, au gré des continents.

A une époque où partout au nom d’idéologies les plus diverses, on massacre, on déporte, on torture, on interne, on emprisonne, Ascq nous le rappelle :

les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. »

Voilà Mesdames, Messieurs, ce que déjà je déclarais ici même il y a 40 ans.

Voilà ce que je rappelle au pied du tertre tous les 5 ans et, sous une forme moins solennelle, tous les ans dans la salle Pierre et Marie Curie, un lieu qui reste marqué à jamais par cet horrible drame !

Aujourd’hui, 14 avril 2019, nous commémorons le 75ème anniversaire de ce massacre et je n’ai vraiment rien de fondamental à modifier dans ce que j’écrivais déjà en 1979 sinon que de redire, avec force, pourquoi 75 ans après cette nuit d’horreur nous sommes, une fois encore, réunis pour rendre hommage à la mémoire de ces 86 victimes de cette barbarie innommable.

Chaque année, en effet, nous défilons ensemble au cimetière d’Ascq devant les tombes de ces 86 victimes après nous être rassemblés sur le Tertre où nous sommes en cet instant et avant de nous recueillir devant le Monument des fusillés du Fort de Seclin.

Sur chacune de ces stèles, un nom, un prénom, et l’âge auquel le fil d’une vie fut coupé.

Il est encore aujourd’hui, 75 ans après, quelques-uns d’entre-nous qui ont connu ces victimes. Je m’incline, une fois encore, devant leur chagrin.

Au demeurant, en 2019, pour, bien sûr, bien davantage d’entres-nous, 75 ans après, ce sont des noms d’hommes que nous n’avons jamais connus autrement que gravés dans la pierre, dans les mémoires et  dans les cœurs de leurs parents et de leurs proches.

Cela ne nous empêche pas, au contraire, une fois encore ce matin, de nous interroger sur ce qu’aurait été leur vie, sans cette nuit tragique.

Comment, en effet, ne pas penser à ce que serait devenu cet homme, à la vie qui s’ouvrait devant celui-ci, aux bonheurs qu’aurait pu vivre tous ceux là ?

A côté de la peine qui étreint encore les cœurs, il y a toujours une  colère face à ces avenirs rendus impossibles du fait de bourreaux massacreurs.

La mort d’un homme, ce sont tellement de possibilités disparues, de richesses humaines anéanties, d’espoirs à jamais perdus, d’humanité annihilée.

Et ils furent 86 à perdre tout cela en ce 1er avril 1944,

86 massacrés… et tout un village qui a basculé dans le drame,

un village, Ascq et ses habitants pour lesquels rien alors  ne sera plus jamais pareil…

C’est à eux tous que nous pensons, une fois encore, 75 ans après, à celles et ceux qui, de moins en moins nombreux sont encore parmi nous ou pas très loin de nous,

Ainsi qu’à celles et à ceux qui ont disparu au fil des ans, du fait de la loi inexorable du temps qui passe.

Pour elles comme pour eux, un pan de leur vie a été  cassé en cette nuit d’avril 1944, un vide s’est ouvert et ce vide ne s’est jamais refermé.

Un vide qui, à un autre niveau sans doute, ne s’est jamais non plus refermé pour celles et ceux qui, certes, n’ont pas connu ce jour tragique mais qui ont, depuis, rejoint la communauté ascquoise puis villeneuvoise car une communauté, ne l’oublions jamais, c’est une histoire partagée.

Et votre présence importante, aujourd’hui encore, montre, une fois de plus, que la tragédie du Massacre d’Ascq est un des éléments qui a fondé notre Ville et qui a contribué à faire ce qu’elle est aujourd’hui.

L’hommage que nous rendons une fois encore aux victimes, est un devoir de mémoire envers eux, leur famille, leurs proches et c’est aussi un hommage aux victimes de toutes les barbaries.

Les victimes du Massacre d’Ascq font, en effet, partie de ces cohortes de suppliciés dont le sang a coulé sur tant et tant de villages et de villes pendant ces années meurtries par les crimes du nazisme et du fascisme.

Nous réunir 75 ans plus tard, c’est donc affirmer que nous n’oublions ni l’horreur de ces faits, ni les coupables (dont certains défraient encore la chronique), ni les causes.

Ascq est entrée dans l’Histoire et dans notre Histoire.

Notre devoir est de  faire en sorte que cette histoire soit vivante, qu’elle témoigne, qu’elle enseigne, qu’elle aide à comprendre comment l’inhumain a pu devenir si commun, comment l’inimaginable a pu devenir si banal et comment la barbarie a pu devenir si quotidienne.

La mémoire des 86 suppliciés d’Ascq nous parle de cette nuit d’avril 1944.

Elle nous parle aussi des années de guerre.

Elle nous parle de la barbarie dans les idées d’abord et ensuite très vite dans les faits.

Elle nous interpelle encore, encore et toujours.

Comment l’Europe avait pu en arriver là ?

Comment « la bête immonde » avait pu grandir et se préparer à tuer aux yeux de tous, sans être écrasée avant que de commencer à nuire ?

Pourquoi peut-on encore dire qu’aujourd’hui, le ventre d’où elle a surgi est encore fécond ?

La mémoire des 86 suppliciés d’Ascq nous parle de notre temps en ce 21ème siècle. Elle nous interpelle sur toutes les victimes de notre temps, de toutes les guerres et de tous les terrorismes.

Elle nous donne des responsabilités, celles de tous les citoyens, celles de tous les responsables, celles de tous les démocrates, celles de toutes celles et de tous ceux pour qui les Droits de l’Homme sont le fondement de leur action.

Parce que notre terre ascquoise a été le théâtre de cette tragédie, ceux qui y vivent ne peuvent fermer les yeux aux tragédies de notre temps et rester muets devant les tentatives des négationnistes et des révisionnistes.

Chaque fois qu’un innocent meurt sous les balles, où que ce soit dans le monde, c’est un peu Ascq qui recommence.

Chaque fois qu’une famille se terre pour échapper aux bourreaux, c’est un peu Ascq qui recommence.

Chaque enfant qui souffre, chaque adulte abattu, chaque mère qui pleure sont si proches de celles et de ceux qui ont connu Ascq en avril 1944.

Oui, Mesdames, Messieurs, mon émotion d’homme se mêle une fois encore d’un sentiment de honte en tant qu’être humain.

Honte de savoir que 75 ans plus tard, d’autres massacres n’ont pu être empêchés, ailleurs, plus loin, c’est à dire toujours très près de nous.

Et je pense et je le redis, une fois de plus :

Nous avons un devoir de révolte, comme nous avons un devoir de mémoire.

Nous avons un devoir de vigilance, comme nous avons un devoir de mémoire.

Nous avons un devoir d’action, comme nous avons un devoir de mémoire.

Agir aujourd’hui, contre toutes les barbaries de notre temps, c’est être fidèle à notre devoir de mémoire.

Honorer solennellement la mémoire des victimes du Massacre d’Ascq, c’est être fidèle à notre devoir de citoyens européens et de citoyens du monde.

Mesdames et Messieurs,

Mes chères concitoyennes et mes chers concitoyens,

Merci du fond du cœur de donner en ce 14 avril 2019, par votre présence massive à notre commémoration, la solennité émue qui lui convenait une fois encore.

Merci au nom d’Ascq et de Villeneuve d’Ascq.

Merci à toutes et à tous, y compris à celles et ceux qui ne pouvant être présents comme le Président Macron, nous ont envoyé des messages, et merci au nom de notre volonté que je sais largement partagée de tout faire pour que de telles horreurs n’ensanglantent plus jamais notre Europe et qu’elles cessent enfin partout ailleurs sur notre planète.

Mesdames, Messieurs, mes chers concitoyens

Tout faire contre l’oubli !

Tout faire pour la Paix !

Tout faire pour une humanité apaisée !

Tels sont nos trois engagements aujourd’hui renouvelés ici, à Ascq, au pied d’un Tertre, symbole de ce triple engagement en forme de serment.

Gérard CAUDRON

Le 14 avril 2019

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