Intervention d’Ivan RENAR lors de la remise de la Légion d’Honneur à Gérard CAUDRON

 Ivan Renar

Remise de la Légion d’Honneur à Gérard Caudron

Maire de Villeneuve d’Ascq

le vendredi 24 octobre 2014

 

 

ivan_renar_3_25pc     Je voudrais vous dire l’honneur et le plaisir qui sont les miens d’être ici, à cette tribune, à Villeneuve d’Ascq

 

Ensemble, nous allons décorer, dans l’ordre de la Légion d’Honneur, un homme de bien, comme on disait  dans le temps, notre ami, notre camarade, Gérard CAUDRON.

 

Par ces temps d’individualisme roi, de repli sur soi, des moments de citoyenneté, de civilisation, comme celui qui nous est offert ce soir, sont assez rares pour être  pleinement savourés.

 

Alors ? Pourquoi lui ? Pourquoi moi ? Nous avons tous les deux une Maman polonaise. Ce n’est pas suffisant. Des noces d’argent, çà fait bien longtemps – Des noces d’or, c’est pas encore. Plus certainement ce que nous devons à l’école de la République et au corps enseignant. Sans eux que serions-nous devenus ?

Cela dit, nos rapports à la fois complexes et vivifiants, datent de l’hiver 1976. Un an avant les élections municipales générales de 1977, le Conseil municipal se divise. Il y a 11 démissions et donc élection partielle. Cette élection allait décider de notre histoire, de notre avenir et de celui de Villeneuve d’Ascq. Après quelques péripéties pour établir une liste commune, nous avons opté pour que « le meilleur gagne » comme on dit !

 

Cela a été une superbe campagne électorale. A l’issue de celle-ci : Gérard m’a battu de 1%, 28 contre 27%, 6 sièges pour le PS, 5 sièges pour le PCF. La discipline républicaine qui était encore une valeur à l’époque, fût dignement appliquée. Et je ne le regrette pas. D’autant que l’histoire ne repasse pas deux fois les plats !

 

Gérard était fait, pour être Maire de notre Ville, avec pour cela une formidable énergie, capable de sacrés coups de gueule, et dans le même temps armé d’une infinie patience et écoute.

A ce moment de mon intervention, je dois vous avouer mon embarras.

 

Je ne me vois pas dans la peau de Bossuet (18ème siècle), évêque de Condom (çà ne s’invente pas), et ensuite évêque de Meaux et surtout célèbre pour ses sermons et oraisons funèbres : « Madame se meurt », « Madame est morte ». Avec tous les écueils que cela suppose ; le discours funéraire où les défunts n’ont que des qualités et aucun défaut. Il y a en plus le souci d’éviter ce qu’on appelle dans le débat budgétaire au Parlement les 3 L : Litanie – Liturgie – Léthargie.

Bref !

Gérard est né en 1945 dans un petit village de Picardie, à Royaucourt et Chailvet.

 

De ses sept premières années passées à la campagne, il a gardé un goût particulier de la vraie nature, l’amour des blés et la passion des coquelicots. Il en a tiré un ouvrage, que je vous conseille de lire, intitulé « Comm’ des P’tits coquelicots ».Un ouvrage sensible, agréable à lire, plein  d’anecdotes et de réflexions. Il règle aussi quelques comptes !

 

Et de ses années d’étude, en particulier une propédeutique : M.P.C. Mathématiques – Physique Chimie, il a gardé un goût non moins important pour l’innovation. Il est également un économiste et une des lignes directrices de son action en faveur de l’innovation, je peux en témoigner, est que cette innovation doit être au service de l’économie comme à celui de l’Homme Il n’a pas peur de la création, du neuf, de l’invention, de l’imagination. Il n’est pas atteint de rouille historique. On pourrait lui dédier ce qu’a dit le poète : « J’invente donc je suis »

 

On a pu écrire quelquefois que Villeneuve d’Ascq était une « ville à la campagne ». ll y a eu aussi un slogan qui a un peu vieilli « Villeneuve d’Ascq, Technopole verte ». Dans tous les cas on constate une grande adéquation entre la personnalité de

son maire Gérard CAUDRON et de ce que Villeneuve d’Ascq est devenue : le sens des services publics rendus à la population.

Dire que Villeneuve d’Ascq est une ville où fleurissent les équipements sociaux, culturels et sportifs est une évidence.

C’est certes du au fait que la Ville Nouvelle disposait dans les années 70/80 d’importants espaces au moment où la C.U.D.L. acquerrait de nouvelles compétences, ce qui explique le M.A.M, la Rose des Vents, le  Stadium, l’Université de Lille 3 postérieure à la Ville Nouvelle alors que Lille 1 l’avait précédée.

 

Je dois dire que si le destin nous a aidé, nous avons aidé le destin. Car d’autres équipements sont venus s’ajouter du fait de la municipalité (Dojo Nord, Palacium, Terrains de football, de rugby ou de tennis, salles de sports, Musées (du Terroir, du Massacre d’Ascq, de Plein Air), Médiathèque, Ecole de Musique de niveau Conservatoire, le Forum Départemental des Sciences François Mitterrand, le Stade Pierre Mauroy.

 

En raccourci, je viens  d’énumérer ce qu’est la vie quotidienne de Gérard CAUDRON, maire de Villeneuve d’Ascq jour et nuit ! Hiver comme Eté !

 

Pour ceux que ça inquiète, je veux leur livrer le secret de sa longévité : c’est une grande adéquation entre la personnalité du Maire et de la Ville telle qu’elle s’est construite, alliée à une présence sur le terrain dans la quasi totalité des manifestations de la ville, ou auxquelles il est invité. Il y a aussi cet attachement affectif à la ville, aux villeneuvois, sa détermination à défendre sa ville, et cela dès le départ, dans les moments où il était question que la ville devienne un quartier de Lille. C’était le temps de l’Etablissement Public de Lille Est !  malgré tous les vents contraires Villeneuve d’Ascq est restée autonome.

Je pourrais ajouter également le fait qu’il soit à la fois bâtisseur, mais aussi attentif à l’amélioration du cadre de vie quotidien : tout ce qui touche à la rénovation, à l’embellissement et qui a débouché sur un habitat diversifié, qui a plutôt bien vieilli.

Un autre facteur  de confiance, c’est l’innovation en marche, visible à l’œil nu :

–        l’enseignement supérieur, une chance d’avoir deux universités : Lille 1 et Lille 3, de Grandes Ecoles et leurs équipes remarquables (je salue la présidente et le président).

–        L’ensemble Cité Scientifique Haute Borne qui constitue une réussite dans le domaine Recherche-transfert de Technologies. La création et/ou le développement d’entreprises technologiques en témoigne

 

En tout cas et en résumé, une ville où il fait bon vivre, au-delà des aléas et des difficultés actuelles de la vie.

 

Et puis il y a l’action sociale qui fait partie de la conception du service public. Et là j’emprunte au bouquin de Gérard, ces quelques lignes : « Il y a aussi, sinon surtout, la conception plus ou moins large que l’on a de l’action sociale. Pour moi, c’est Gérard qui parle, et pour tous ceux qui se réclament encore du camp du progrès en refusant la pesanteur de l’idéologie libérale, l’action sociale ne doit pas se limiter à aider ceux qui n’ont plus rien, mais elle doit aussi aider ceux qui sont en difficulté à ne pas sombrer et ceux qui sont en grande difficulté à en sortir.

 

Certes, cette conception de l’action sociale a un coût qui est élevé, mais ce coût est faible au regard du coût humain, de la misère et du désespoir et tellement plus faible au regard des coûts générés par les ghettos, l’exclusion et la violence.

Le modèle social européen est souvent l’objet de beaux discours et la politique sociale est au cœur des débats électoraux

Une véritable action sociale élargie est beaucoup plus que cela : c’est la condition première d’une société équilibrée, pacifique et démocratique »

Tout est dit – Fin de citation. Merci Gérard

 

A ce moment de mon exposé, et pour approfondir les choses je veux évoquer les exclus que certains de la société multi-vitesse ont appelé « hommes du passé », « hommes dépréciés »

 

A leur égard les pouvoirs publics agissent le plus souvent à partir de leur malheur et non du mal, c’est-à-dire qu’ils soignent le pauvre dans l’homme, et non l’homme dans le pauvre. Tout exclu est alors « victimisé », l’exclusion n’a pas de cause, pas de responsabilité identifiée, elle est « fatalisée » et appelle seulement de la compassion et des mesures caritatives ou redistributives courtes, que je comprends, mais qui, au final, n’endiguent pas l’exclusion.

Et j’ajouterai que nous vivons hélas dans une société qui fait la guerre aux pauvres au lieu de faire la guerre à la pauvreté.

Il y a trop de réponses « a minima » une allocation, un  travail, un savoir au rabais.

Or le droit comme le respect ne se divise pas. Le monde du peu se satisfait finalement de la démocratie du petit : un petit plus de sous, un petit peu plus de bonheur, un petit peu plus d’égalité. Un R.M.I. de vie quoi ! Et je ne parle là que de l’aspect monnaie.

 

Parce que l’exclusion c’est aussi la mise à l’écart de l’échange social, de l’échange symbolique sans lequel la vie n’est plus la vie.

 

Devant tous ces problèmes les élus du Conseil Municipal, que je salue pour leur travail et leur fidélité et le Maire n’ont jamais baissés les bras. Ce n’est pas simple tous les jours.

Il faut imaginer, agir, trouver de nouvelles manières de faire, activer ou réactiver les partenariats, en ne se laissant pas emporter par les vagues de la logique comptable qui perd de vue les paramètres humains. Ou comme disait si bien Victor Hugo en son temps « de biens maigres économies pour de bien grands dégâts ».

 

Nous sommes certes dans une crise d’évolution, à l’échelle de la planète : les valeurs changent (sauf la bourse), elles disparaissent même, le sens des choses s’estompe. Mais heureusement cette situation si mouvante rend l’action plus indispensable que jamais.

En particulier dans le domaine de la Culture et de l’Ecole. Et la place de l’Art dans la lutte contre l’exclusion, toutes les exclusions est à plus d’un titre essentiel parce que l’Art est le champ de tous les possibles et de toutes les différences.

Chaque homme, chaque femme, chaque enfant doit avoir une « piste d’envol ».

C’est ce qui se fait ici à Villeneuve d’Ascq dans la diversité : pas de culture de 2ème classe.

« Etre élitaire pour tous » comme le préconisait avec Chaleur Antoine Vitez, le fils spirituel de Jean Vilar, qui lui parlait de façon plaisante d’ « eau – gaz – électricité – culture à tous les étages ».

 

Qui ne voit pas que les dizaines de milliers d’enfants, de jeunes qui, au fur et à mesure des années, viennent à une exposition du L.A.M., à un spectacle de la Rose des Vents, prendre un livre à la Médiathèque Till l’Espiègle, à l’Ecole de musique, à Cric Crac compagnie, au Forum des Sciences François Mitterrand, à la Ferme d’en Haut, au Mémorial d’Ascq, au Méliès, au Kino Ciné, à l’  Atelier 2 que ces enfants ont déjà un vocabulaire plus riche en sortant. J ‘oserai dire qu’ils tendent à avoir tous les oiseaux du monde dans leur volière.

Comme disait si bien André Malraux « Les enfants, là est la clé du trésor »

Vous savez il y a quelque chose de magique, quand des enfants, des jeunes,  découvrent, après une activité en classe ou « in situ » avec un artiste, qu’il n’y a pas de talent sans une quantité gigantesque de travail.

Merci et bravo au service culture et aux élus qui s’occupent de ces questions aux côtés du maire.

Il y a aussi quelque chose de rare dans la municipalité,  c’est la coopération entre services au-delà de leurs missions premières,

–        le service des affaires scolaires avec des animations de classe patrimoine, de classe archéologique, et de classe culture.

–        le service de la petite enfance avec son festival « les minuscules » son travail dans les crèches pour sensibiliser les personnels,

–        le service enfance en liaison avec la Ferme d’en Haut et  son programme,

–        le service des sports avec la mise en place d’ateliers sportifs dans le cadre des Jeux  Olympiques artistiques,

–        le service vie des quartiers et démocratie participative avec la constitution de commissions culturelles qui enrichissent les propositions culturelles de chaque quartier.

 

Sans oublier tout ce qui touche à l’histoire et au patrimoine : ici, on ne fait pas table rase du passé. Sachant qu’un peuple sans histoire est un peuple sans avenir et qu’il n’y aura jamais trop de sentinelles sur les lignes de front de l’obscurantisme et de la barbarie.

Et je sais le soin que Gérard Caudron met à conserver l’histoire du Massacre d’Ascq, sans oublier toute l’histoire en général.

Ces exemples sont très parlants parce que riches de contenus.

 

A Villeneuve d’Ascq on peut tourner la tête dans toutes les directions : partout on a accordé une  place centrale à l’être humain, à ses potentialités, à l’intelligence agissante.

Et justement, unir dans un même souci l’économique, le social et le culturel n’est-ce pas là une bonne façon de prendre l’homme dans toute sa dimension.

 

Enfin, dans une vie riche et active, il ne faudrait pas oublier que Gérard Caudron a été un brillant député européen pendant trois mandats de 1989 à 2004.

Et chose rare, il a été l’un des députés les plus assidus et actifs Comme toujours son engagement a été total, et aussi lucide, si j’en crois ce qu’il dit parlant de l’Europe, et je le cite : « On est en droit à la fois de se féliciter des résultats obtenus, de comprendre les oublis et les lacunes et de réfléchir à la fragilité d’une construction, qui à l’échelle de l’Histoire, relève de l’éphémère. S‘il est un domaine où rien n’est jamais acquis, c’est bien l’Europe »

Et il rappelle que le Parlement Européen est la seule institution européenne directement représentative des citoyens et que c’est en son sein que s’élabore une pensée européenne originale. Il a été l’auteur de nombreux rapports et en particulier d’un rapport dont il est légitimement fier et qui représente des mois et des mois de travail (1 an ½), c’est-à-dire de consultations, d’écoutes permanentes. Ce rapport,  c’est le « Programme Cadre Recherche Développement (PCRD) » qui fait encore référence.

 

Dans la même rubrique de la richesse de sa vie : celle d’un bon maire, qui vit sa ville, qui aime les gens, il faut signaler le lien particulier noué avec le Président Mitterrand qui a été de près ou de loin présent, tout au long d’une grande partie de sa vie. Gérard faisait partie de ce qu’on a appelé la génération Mitterrand. Je me souviens de François Mitterrand, Premier Secrétaire du Parti Socialiste venu passer une journée complète à Villeneuve d’Ascq pour inaugurer la place Léon Blum et faire une conférence à la Rose des Vents. Gérard était aussi présent à l’Elysée lors de son intronisation le 24 mai 1981 et Il faisait partie de ceux que le Président Mitterrand consultait quand il prenait le « pouls » des français.

Il admirait et respectait aussi la femme admirable que fût Danielle Mitterrand qui restera dans l’Histoire, la militante des Droits de l’Homme partout dans le monde et Présidente de France Liberté.

Dans son livre Gérard souhaite que l’Histoire devrait garder la mémoire de son nom, à elle aussi.

Nous sommes quelques uns ici à avoir le souvenir de cette grande dame, à Villeneuve d’Ascq quand fût donné le nom de François Mitterrand au Forum des Sciences nouvellement construit.

Un dernier mot, sur la fibre  humaniste de Gérard.

Vous savez les villes qui ont mis à l’honneur les deux grands noms du Socialisme, dans sa diversité, que sont Jules Guesde d’un côté et Jean Jaurès de l’autre ne sont pas si nombreuses que ça.

Jules Guesde, l’homme du Nord, député de Roubaix, la ville sainte du socialisme, qui a fait connaître l’œuvre de Karl Marx dans le mouvement ouvrier français, et Jean Jaurès, l’homme du Sud-Ouest, proche des mineurs de Carmaux et de toute la classe ouvrière, grand combattant de la paix, lâchement assassiné la veille du déclenchement de la guerre 14/18. Et bien ils ont tous les deux leur rue à Villeneuve d’Ascq.

Jean Jaurès, homme chaleureux, incarne l’humanisme en philosophie et en politique. Je sais, mais ce n’est pas un mystère que c’est dans cette tradition jaurésienne que se situe Gérard CAUDRON. Je n’ai pas de problème pour l’y rejoindre, d’autant que la question se pose et il faudra y répondre un jour :

« Dans un moment » où l’effondrement de la raison engendre des monstres pour reprendre l’expression de Georges Bernanos, n’y-a-t-il pas à craindre une nouvelle forme de populisme, qui tord la démocratie en méprisant le peuple tout en le flattant Son compagnon de route c’est la démagogie sociale.

 

Bertold Brecht, grand dramaturge allemand disait qu’il en est qui rêvent de pouvoir « dissoudre le peuple » ou de « changer de peuple ».

La culture, le savoir sont de véritables enjeux de civilisation.

Ils ne sont pas qu’un refuge ou une consolation ; ils sont la condition même de notre civilisation.

 

Mon cher Gérard, cher ami, cher camarade, tu t’es beaucoup donné et tu as beaucoup donné. L’humaniste que tu es, même si tu le caches quelquefois derrière un air bourru aurait pu inspirer Voltaire en son temps, celui de la philosophie des lumières, Voltaire qui disait : « C’est n’être bon à rien que n’être bon qu’à soi »

Et au terme de cette intervention,  quand je vois l’histoire de la ville nouvelle, je me dis que rien dans cette belle aventure n’aurait été possible sans l’acharnement d’un homme. Un homme déterminé, convaincu, obnubilé même par l’efficacité du suffrage universel, et de la démocratie mais aussi un homme, humain, profondément engagé dans la lutte contre les inégalités et dans le même temps ancrant sa ville, notre ville, dans la modernité.

 

Mon Cher Gérard, tu mérites amplement la médaille que la République va te décerner dans un instant.

Tu sais, il y a un proverbe chinois qui dit « Plutôt que de fulminer contre les ténèbres, il vaut mieux allumer une petite lumière »

Et j’ajouterai surtout si cette lumière est celle de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et de la laïcité.

Elle nous rappelle en permanence que nous appartenons à une communauté qui s’appelle l’humanité. Elle nous pose une question essentielle, la seule question qui vaille : « dans quel monde voulons-nous vivre demain ? ».

Elle nous rappelle également ce qu’un poète de la Résistance, René Char disait : « C’est dans l’obscurité qu’il fait bon de croire à la lumière ». Mais il y a urgence car comme disait un autre poète « le temps d’apprendre à vivre, « il est déjà trop tard ! »

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