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Istanbul, le 18 Juillet 1991

Commission mixte Europe / Turquie

9 heures

Pour commencer la matinée, on discute de la situation politique du Moyen Orient après la guerre du Golf, avec, bien sûr en introduction, une longue tirade sur les conséquences économiques de la guerre sur la Turquie (entre 6 et 9 milliards de dollars… nous dit elle..)

En fait, le rapport ne portera pas que sur cela et la discussion non plus ..

On peut certes comprendre nos « amis » turcs, pour autant, je leur redirai que dans tout choix stratégique et guerrier majeur, on assume toutes les conséquences positives et celles qui le sont moins.

La Turquie tire en effet une grande partie de sa force de son appartenance à l’OTAN et son ancrage à l’Europe. Un choix différent au moment de la guerre aurait rompu ces liens.

Il est 10h15 quand on aborde officiellement la question chypriote.

« Le combat commence » et les adversaires sont « ténus »…

La parole d’abord aux turcs qui « attaqueront » très durement.

L’Europe est représentée par un conservateur britannique qui, plus modéré dans le ton, rappelle l’historique 17 ans de rupture. Une occupation de la partie nord de l’île par l’armée turque avec une déclaration unilatérale d’indépendance de la partie turque.

Alors comment en sortir ? en créant un État confédéral ou deux États ? 

Le nord est occupé, mais il est vrai que les populations occupées au nord veulent cette occupation, puisqu’il y a qu’il y a des colons turcs au nord en grand nombre (50 à 80 000) et que les chypriotes grecs au nombre de 200000 ont été chassés.

Dans le débat, une fois n’est pas coutume, les grecs sont plus sereins et les turcs plus agressifs.

Il faut dire que les grecs ont « le droit pour eux » et la majorité du Parlement Européen avec eux.

Le Président de notre commission se voudra optimiste dans sa conclusion. Le Président des États-Unis est actuellement à Athènes. Il sera dimanche à Ankara.

Point suivant de la discussion : la question «des irakiens qui ont fui leurs pays en direction de la Turquie» …. autrement dit «les Kurdes» …. mais le mot est encore tabou. 

Pour la Turquie, « puisqu’ils n’existent pas en Turquie, ils n’existent pas bien sur non plus en Irak » CQFD…

On reparlera beaucoup du coût de la guerre et de ses conséquences.

Rien de bien nouveau sinon que, dans nos débats, les plus durs sont les opposants turcs… et donc les socio-démocrates turcs… « qui ne nous font  aucun cadeau » !

On dit que les sondages les placent en alternative au pouvoir actuel en cas d’élection…

A méditer en cette fin de matinée, cette contradiction dans l’attitude turque : ils demandent la partition de Chypre en deux Etats, car, pour eux, grecs et turcs ne peuvent cohabiter… et pourtant ils demandent leur adhésion à la CEE et donc à terme leur participation à un État fédéral puis confédéral… avec les grecs…

Comprenne qui pourra … !

ISTANBUL – jeudi 18 Juillet – 15h

Après quelques pas sous le chaud soleil d’Istanbul et un repas vite pris dans un petit resto, 

le travail reprend avec l’examen de l’évolution du code pénal turc.

Ainsi, depuis quelque mois, la propagande communiste n’est plus un délit ni un crime, et le droit d’association est « tout à fait libre ». On peut aussi imprimer dans une autre langue que le turc.

Enfin la liberté d’opinion est « complètement » reconnue.

Mais on est loin du compte et grâce à une nouvelle loi sur le terrorisme certaines dispositions supprimées sont déjà réintroduites.

Et donc pour certains d’entre nous ,dont moi ,les régressions l’emportent peut-être sur les progrès.

Les divers intervenants européens le diront tandis que les représentants turcs insisteront sur les évolutions intervenues et sur l’impérieuse nécessité de lutter contre le terrorisme.

Point intéressant, les socio-démocrates vont se dissocier des autres en demandant une nouvelle constitution pour remplacer celle de 1982 « pour une Turquie réellement démocratique et réellement respectueuse des droits de l’Homme  » …

Pour eux, la défense de l’État doit céder la place à la défense des individus et de leurs droits.

Une très intéressante contribution à notre réflexion collective… « un bon point » pour nos cousins « socialistes » turcs.

En clôture de notre réunion je devais demander que lors de la prochaine réunion le point soit fait de l’état et de l’évolution de nos relations économiques.

Il doit aussi y avoir des signaux clairs économiques de la volonté turque de se rapprocher de l’Europe.

Prochaine réunion à Bruxelles les 4, 5 et 6 Novembre.

19 Juillet 1991

Quelques réflexions…

A-t-on avancé depuis notre dernière réunion ? Difficile à dire … mais le contact est maintenu, le droit pénal semble évoluer en Turquie, les forces favorables à davantage de démocratie se renforcent.

Restent le blocage chypriote, la crispation turque sur sa demande pure et simple d’adhésion à la CEE, les risques toujours présents de durcissement, la question «Kurdes» et la litanie des récriminations sur le coût de la guerre.

Au niveau ambiance, nos hôtes sont moins chaleureux ; la ville d’Istanbul est belle sous le soleil de Juillet même si on nous parle de pluies noires liées aux puits en feu du Koweït.

De touristes… point ! …

Mais c’est une ville en rénovation et en expansion malgré ses (déjà) 12 millions d’habitants et son taux d’inflation à près de 70%

Peu de touristes japonais ! La guerre est passée… Eux qui, ici comme ailleurs, ont compris qu’il leur était moins coûteux d’acheter le monde que le conquérir, se sont fait très discrets depuis la guerre du Golf.

De cette guerre, on parlera peu, moins que de Chypre.

Et c’est une ville d’Istanbul sous haute surveillance que je quitte juste avant l’arrivée du Président Bush qui vient à Istanbul après un arrêt à Athènes pour , dit-on, réconcilier grecs et turcs.

La presse a titré ce matin sur les menaces de terroriste d’assassiner George Bush, moyen sans doute de justifier, s’il lui fallait, sa nouvelle loi anti-terroriste.

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