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Varsovie juin 2000

Si ma mère, était née Stanislawa Janczewski, à Kalisz (Pologne) en octobre 1921, c’est seulement aujourd’hui, 5 juin 2000, la première fois que « je mets les pieds » sur le sol polonais après un vol d’1h45 depuis Bruxelles.

Si à Bruxelles il pleut, ici, à Varsovie il fait une chaleur estivale et de l’aéroport je découvre une ville verte et propre.

À peine arrivé à mon hôtel, on m’appelle pour venir au Parlement polonais afin d’y discuter avec des socialistes polonais qui constituent aujourd’hui «l’opposition» après avoir été au pouvoir et avant peut-être d’y revenir ….

La crise est en effet ouverte au sein des droites polonaises au pouvoir et les sondages  les « donnent écrasées » en cas d’élections anticipées.

De la discussion, il ressort heureusement que les valeurs qui unissent les partis de gauche polonais l’emportent largement sur les pulsions nationalistes qui les divisent.

Dans la foulée de notre réunion, nous participerons d’ailleurs à la création d’un «Mouvement de Jeunes Socialistes Polonais et Militants Européens».

12h30 : Une heure de séance de travail se déroule avec les ambassadeurs des 15 pays de l’Union Européenne pour évaluer «l’état de la Pologne» et sa situation au regard du processus d’adhésion à l’Union Européenne.

En dehors de la crise gouvernementale qui ne peut que freiner le processus, le diagnostic n’est pas très optimiste.

Il n’est pas sûr aujourd’hui que l’UE soit prête à accueillir la Pologne. Il est encore moins sur que la Pologne soit au rendez-vous sur plusieurs questions : les acquis communautaires, l’agriculture, l’environnement ,la sidérurgie… 

–        (pour ne citer que les principaux).

Au cours du débat j’en discuterai directement avec plusieurs ambassadeurs, dont celui de France, de Belgique, du Portugal, de l’Espagne et de l’Union Européenne.

Quand on pense que la date officielle de l’adhésion est fixée au 1er janvier 2003, c’est-à-dire, dans 2 ans 1/2, il y a lieu d’être étonné de l’ambiance et des incertitudes non dissimulées.

À 15 heures débute la première séance de travail proprement dite  de la « Commission mixte Union Européenne / Pologne »

Après « les discours  d’usage », en particulier du coprésident Tadeus  Mazowiecki, on passe au suivi des conclusions de notre réunion de novembre 1999 à Bruxelles.

Le débat est classique :

–       D’un côté, côté Polonais : « on a presque tout bien fait »… d’où leurs questions : « alors, notre entrée c’est pour quand ? et qu’est-ce que vous nous donnez en contrepartie ? « 

–      De l’autre, côté Union Européenne :  » la Pologne peut et doit mieux faire ! « , en effet, si les efforts faits sont réels, ils sont insuffisants pour permettre une entrée dans l’Union en l’état.

–       D’un côté, côté polonais : « mais dites-nous quand ? »

–       De l’autre, côté Europe : « quand vous serez prêts ! » ,

le tout avec, de part et d’autres, de « bonnes doses » de non-dits sinon de contrevérités ,

le tout avec surtout, du côté polonais, de longs discours… « un peu langue de bois » …

Dans un débat qui ronronne, mon intervention sera dans mon style, direct, voire brutal : « Je suis pour l’adhésion. Je me battrai pour que l’Europe tienne et ses engagements et le calendrier prévu. Encore faut-il que la Pologne tienne les siens » :

            Quid des normes environnementales ? Quid de la restructuration de la sidérurgie et des baisses demandées de capacités de productions ?

Je n’obtiendrai pas de réponses vraiment « satisfaisantes ».

Quand je m’interroge aussi sur la Pologne et les réformes institutionnelles en cours, alors là, côté polonais, c’est la panique… « on verra cela plus tard nous répond- on..! »

À 17h00, on reprend le débat avec l’Ambassadeur du Portugal qui, au nom du Conseil Européen, fait le point de l’état d’avancement des négociations.

Puis, c’est le représentant du gouvernement polonais qui précise le travail de la Pologne.

Sa conclusion :  « beaucoup a été fait… et… il reste énormément à faire »…

Reste à voir si la crise actuelle au sein du gouvernement pourra le permettre.

L’opposition de gauche polonaise est « interpellée » : Si elle aide à l’adoption des textes nécessaires, c’est la droite polonaise qui aura le bénéfice de l’adhésion du pays, même si la gauche en partagera le coût…

Alors ?… la question est posée…

17h30 – Arrivée du Ministre Geremek, Ministre des Affaires Étrangères « démissionnaire »… mais toujours là.

Je me souviens du «Geremek de Solidarité» reçu à Villeneuve d’Ascq dans les années 80 quand nous arborions le badge et le signe «SOLIDARNOSC».

Il était anticommuniste. Il est aujourd’hui à droite…

Mais il reste une homme «remarquable» au sens propre du terme – et un grand européen.

(Je lui ai passé discrètement un petit message amical de rappel de nos souvenirs communs)…

M. Geremek n’éludera aucunes questions, qu’elles soient liées à la crise gouvernementale, aux institutions, aux réformes, à l’environnement…

Sur ce dernier point, il propose un plan phasé de rattrapage reconnaissant l’état déplorable dans ce domaine de la Pologne comme de tous les pays ex-communistes…

Actuellement, la Pologne a inscrit à son budget pour cela 3.5 milliard de zlotys… il en faudrait 10 fois plus…

Autre gros dossier : l’agriculture. 19,8 % de la population active polonaise y travaille et en vit (plus ou moins bien) sur des exploitations dont la surface moyenne est de 7 hectares. 40 % des polonais vivent encore à la campagne.

On comprend que c’est un sujet sensible et que l’attente vis-à-vis de l’Europe est grande.

Il parle enfin du fédéralisme.

Il dit être «POUR» à condition que cela ne conduise pas durablement à une Europe à plusieurs vitesses.

Il se dit vouloir être «avant-gardiste» dans ce domaine, et il évoque Chevènement et le «Saint Empire Romain Germanique» qui, avec un empereur au sommet disposant de compétences claires, laissait une certaine indépendance aux États de l’Empire…

Et le polonais Geremek ne niera pas l’attachement de la Pologne à une indépendance si chèrement conquise, perdue et reconquise au cours des siècles…. même, ferai je remarquer,  « si c’est un peu » contradictoire avec « la démarche accélérée » d’adhésion à l’UE

Un grand bonhomme néanmoins ce Geremek !

Une 13ème session de notre commission mixte qui, finalement, a bien commencé dans une atmosphère plutôt pro-française.

(À titre indicatif, nos travaux se font en 3 langues : le polonais, l’anglais et le français et ce malgré une délégation allemande importante).

Côté français, il y a Jean-Louis Bourlange et moi.

Et le chef des négociateurs polonais M. Kulakowski de lancer un appel vibrant à la Présidence française pour qu’elle fasse faire un saut qualitatif fondamental au processus d’adhésion de la Pologne.

Je transmettrai cet appel au gouvernement français.

En soirée, le Président de la République française Jacques Chirac a confirmé son accord pour un quinquennat et annoncé qu’il y aura un référendum, à la rentrée, sur cette question.

Je suis pour… tout comme je serais pour une réduction de la durée du mandat des sénateurs qui actuellement est de 9 ans !

Un regret cependant et une demande : « Tant qu’à consulter les électeurs français, pourquoi ne pas ajouter une question sur le cumul des mandats »  ?

VARSOVIE LE 6 JUIN 2000

Il y a 56 ans, nos alliés débarquaient en Normandie. C’était le «Jour le plus long» mais avec une réalité mieux rendue par un film plus récent «Il faut sauver le Soldat Ryan».

Si «On» a largement oublié cet anniversaire… , moi pas…

Et c’est ce qui me rend encore plus Européen, en particulier dans une ville, Varsovie, qui à été rasée par la guerre.

On se souvient du soulèvement des résistants polonais, de l’armée soviétique qui stoppe son avance… et des allemands qui déciment les Polonais !

Entre 1939 et 1945, la Pologne a eu 6 millions de morts (dont 3 millions de juifs) exterminés par les nazis mais aussi, pour certains, par les Soviétiques…

Ce matin, notre réunion commence à 9 heures. Mais auparavant, je traite, bien sûr, le courrier de la Mairie de Villeneuve d’Ascq, l’analyse de la presse, tout en n’oubliant pas de prendre position sur le futur référendum organisé sur le quinquennat.

Je suis clairement POUR le quinquennat mais je demande aussi qu’on interroge en même temps les électeurs sur le cumul des mandats.

En commission mixte Europe-Pologne, on démarre ce matin par les aides européennes pour les pays membres et pour les pays candidats avec le rappel du principe du cofinancement et avec le rappel de l’existence de critères pour aider les plus pauvres.

Il est rappelé à nos amis polonais la rigueur nécessaire et donc, en finale pour eux comme pour nous, la difficulté souvent «de dépenser les crédits prévus».

Dans l’Union Européenne et ses régions, on commence à s’en rendre compte. Les Polonais le découvrent car, pour eux (comme pour nous souvent), l’Europe c’est une « caisse » dans laquelle on espère pouvoir puiser massivement !

En marge, une question : celle des confiscations massives de biens de polonais soit  ayant appartenus aux  victimes juives très nombreuses en Pologne, soit à celles chassés par les communistes… soit « simplement » victimes des crises, des changements de régimes, des procès etc.

(Par parenthèse j’essaierai désespérément de savoir  » où  était le ghetto juif de Varsovie « …)   « les polonais aussi ont parfois la mémoire courte »  

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10h45

Avec Jean-Louis Bourlange on passe à la réforme institutionnelle. Il est clair et brillant… comme d’habitude.

Pour lui, l’Europe doit être un «jeu à somme positive».

L’intérêt de chacun ne doit pas faire obstacle à l’intérêt général. L’outil principal c’est la majorité qualifiée (70 %) qui pousse à la recherche permanente d’un consensus…

Autre outil, autre problème : comment concilier l’égalité des citoyens européens et l’égalité des États membres ?

C’est difficile sinon impossible. La seule réponse actuelle : la pondération des voix de chaque État.

L’Europe, pour Jean-Louis Bourlange, c’est une façon de vivre ensemble : soit on l’accepte soit on reste dehors.

Je suis d’accord avec Jean-Louis Bourlange pour regretter le manque d’ambition qui conduit à un fossé entre les objectifs et les obligations d’une part et les moyens d’autre part… y compris sur le plan financier. .. mais pas que

Inquiétude suprême : le débat actuel est un débat sur l’intérêt de chaque État dans l’ensemble et pas du tout un débat sur l’intérêt général de l’Europe.

Alors que se passera-t-il à Nice au prochain Sommet Européen ?

–       Un accord «minimum minimorum» bien vendu «médiatiquement» ?

–       ou une crise ouverte ?

Aucune des deux «solutions» ne serait satisfaisante !

Dans le débat, j’essaie d’expliquer que c’est de l’intérêt de tous que l’Europe fonctionne politiquement.

Sans règles démocratiques nouvelles, le pouvoir réel passera définitivement aux mains des forces économiques et financières.

Ni les citoyens, ni les États n’auront plus rien à dire.

Après le débat institutionnel, la 13ème session va se terminer rapidement par le vote d’une résolution commune.

Il faut dire que du côté polonais «la tête n’y est pas» … :

La crise gouvernementale polonaise est consommée.

Les libéraux de Geremek ont quitté le gouvernement qui se retrouve sans majorité !

Ce n’est pas cela qui facilitera la procédure d’adhésion…

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Après un rapide repas, j’ai l’occasion, durant 2 heures, de parcourir Varsovie et d’y découvrir ses terribles contrastes avec des rues rutilantes d’un côté et des immeubles lépreux derrière, des pauvres qui survivent à peine et des riches à la richesse insolente.

10 ans après la sortie du communisme, on en mesure les résultats et les effets du libéralisme débridé qui a suivi.

On aura bientôt «un très lourd client» dans l’Union européenne…

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19h30 – c’est l’heure du retour.

À 21h30, on est à Bruxelles et à 23h, je suis «at home» !

(Demain départ 7h pour Bruxelles à nouveau).

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