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Mission avec Laurent Fabius en Israël et en Jordanie les 26 et 27 mars 1991

L’histoire commence le 18 mars 1991 quand Laurent Fabius m’appelle pour me proposer de l’accompagner dans un déplacement qui est le premier à ce niveau d’un responsable français depuis la guerre du Golfe.

(l’offensive alliée dite « des 100 heures » avait eu lieu fin février 1991)

 L’objectif de cette mission est triple :

 –    S’informer de la situation sur place

–    Informer des positions françaises souvent mal comprises sinon mal connues

–    Dialoguer avec les partenaires.

Il me faudra une heure à peine de réflexion pour peser les avantages et les inconvénients d’une acceptation de cette offre séduisante pour moi que cette région passionne.

C’est Jeudi, à Paris, que j’obtiens mon visa pour la Jordanie et un premier programme de la mission.

 Lundi 25 mars au soir, je reçois par fax le programme définitif avec un décollage prévu à Villacoublay par avion du GLAM ce mardi 26 mars à 7h45.

 Notre arrivée est prévue à Tel Aviv quatre heures plus tard.

 Il sera donc un peu plus de 14h00 quand nous arriverons compte tenu du décalage horaire.

 Je passe rapidement sur le voyage, Villeneuve – Villacoublay avec un départ à 4h15 …

 Arrivés Porte de Saint Cloud vers 6h30, nous sommes largement en avance, même si, ensuite, il faudra une heure de plus pour trouver la base de Villacoublay, son entrée, l’avion…

 Je passe sur « l’humeur »… mais enfin, je suis là et même quelques minutes avant Laurent Fabius, et juste le temps de faire connaissance avec Arlette Chabot

 Nous sommes peu nombreux dans l’avion. Laurent Fabius, Arlette Chabot, 1 caméraman, 2 officiers de sécurité et moi.

 L’avion, « un Mystère », est petit et confortable, le décollage tout en souplesse, le vol assez rapidement stable une fois atteinte l’altitude et la vitesse de croisière.

 Le petit-déjeuner est bon à prendre et après une revue de presse, nous prenons connaissance d’un dossier très complet destiné à nous informer sur les situations, les pays, les politiques et les personnalités que nous allons rencontrer.

 On en discute les termes avec Laurent Fabius et Arlette Chabot pour mieux définir le cadre de nos rencontres.

 Deux questions sont récurrentes :

 –    Que peut-on apporter ?

–    Que va-t-on rapporter ?

 Les prochaines heures nous le diront.

 Le vol se poursuit (et vue du ciel, la botte italienne est toujours aussi superbe).

 À 10h30, on change nos montres pour les régler à 12h30 et on déjeunera dans l’avion vers 13h00 pour se mettre au rythme d’Israël.

 Le voyage s’annonce magnifique et passionnant.

 Il est 14h30 quand nous atterrissons sous le soleil de Ben Gourion Airport. Une réception nous attend sur la piste par le Président Knesset.

 Après quelques paroles d’accueil de pure forme, nous partons en voiture vers Jérusalem.

 Il fait très beau. La route est belle et l’arrivée sur Jérusalem toujours aussi émouvante. Le pays semble en pleine construction, immigration oblige…

 Quelques minutes à l’hôtel du Roi David, le temps de poser ses bagages et la course des entretiens et discussions va commencer avec Yitzak Shamir, Chaim Herzog et Shimon Peres, avant de rencontrer par la suite des responsables palestiniens, des intellectuels israéliens, des ministres israéliens et jordaniens et le Roi de Jordanie en personne

(voir les notes d’entretiens en annexe)

 À 19h00, c’est l’heure du premier repas officiel dans les salon de l’Hôtel.

 À ma table, des journalistes et des députés du Likoud.

 « Ils ont une dent contre la France mais nous aiment bien quand même ».

 La dent sera plus dure encore dans le discours du Président de la Knesset même s’il l’accompagnera ensuite de paroles plus aimables.

 Laurent Fabius répondra sans concession non plus avec la même fermeté amicale.

 À 21h15, le repas est fini.

 Nous partons à quelques-uns en voiture pour une visite de la Ville et de ses environs avant de terminer à pied dans les rues piétonnes du centre de Jerusalem ouest.

 Nous ne verrons la Vieille Ville que de loin… (sécurité oblige).

 Dans les rues piétonnes on croise beaucoup de jeunes militaires et de civils en armes.

 La guerre n’est jamais très loin mais on ne sent pas de tension particulière.

 23h30 – retour à l’hôtel.

 À la télévision, un seul programme… en Hébreu.

Aux informations, notre voyage est commenté en Hébreu bien sûr…

 Il est 6h45 quand mon réveil me tire d’un sommeil profond.

 Dehors le soleil éclaire Jérusalem.

 De ma fenêtre, je vois toute la Ville, les remparts et la Vieille Ville, une image pacifiée…

 7h45 – Petit déjeuner de travail en anglais avec des « intellectuels » israéliens que l’on sent écartelés entre leurs idées libérales et leur attachement indéfectible à Israël.

 9h00 – Départ sous le soleil vers le Consulat Français. Sous les crépitements de photographes, nous rencontrons 12 palestiniens qui se réclamant de l’OLP (Organisation de la Libération de la Palestine).

 Douze discours très semblables et sans beaucoup d’ouverture mais tous emprunts de sensibilité sinon d’une réelle détresse.

 La discussion va s’allonger et ce n’est qu’à 10h45 que nous rencontrerons rapidement la presse internationale.

 11h15 – Il fait beau, il fait chaud. Nous allons chez David Levy, vice-premier ministre, un homme très chaleureux, très direct, mais aussi très ferme. C’est un des ministres  venus d’Afrique du Nord.

 Il est 12h15 et c’est l’heure du départ pour l’aéroport Ben Gourion. Toujours les mêmes paysages, le même beau temps.

 12h35, nous sommes dans l’avion.

 Nous avons obtenu, et c’est une première, de faire le trajet direct Tel Aviv – Amman.

 (Habituellement, il faut passer par le sud d’Israel et l’Arabie Saoudite).

 Il faudra néanmoins attendre près d’une demi-heure dans l’avion pour que se finissent les dernières premières discussions israélo-jordaniennes pour ces 100 kms et 20 minutes de vol.

 Nous décollons accompagnés de 2 chasseurs israéliens qui vont nous « encadrer » jusqu’au Jourdain avant d’y être remplacés par 2 chasseurs jordaniens.

 La vision est fantastique avec, sur notre droite,  la Mer Morte sous le soleil, une mer dont le niveau est de 600 m au dessous du niveau de la mer rouge (avec un taux de salinité de 25%).

 Tout autour de nous, des déserts, des montagnes et la Jordanie avec les mêmes paysages qu’en Israël en un peu plus désertique peut être, des bases militaires, des sites de missiles, des camps palestiniens…

 13h15 – l’ancien aéroport d’Amman nous attend.

 Un accueil protocolaire nous est proposé sans chaleur particulière.

 13h45 – Départ chez le Président du Parlement Jordanien qui nous reçoit entouré de 2 députés et du Ministre des Relations avec le Parlement…, un religieux sévère… qui sera silencieux et glacial… jusqu’à ce qu’il prenne la parole et là…, pour l’arrêter…, c’est « mission impossible ».

 Un bien dur moment, presqu’une galère… :

 1h15 de monologues, d’agressivité contre la France, de « défense et illustration » de Sadam Hussein.

 Le plus difficile est de garder son calme et sa sérénité surtout quand on a le sentiment que cela pourrait durer des heures.

 Je sors pessimiste sur le rôle futur de la Jordanie dans les discussions de paix.

 Nous partons pour l’Ambassade de France, avec, déjà, un gros retard. 

On roule à vive allure, klaxons à fond, dans des rues propres et des villas agréables qui ne sont pas sans ressemblance avec les banlieues de Jérusalem.

 Il y a beaucoup de militaires dans les rues. La Jordanie en compte 120 000 mais aux dires de l’attaché militaire de l’Ambassade, c’est une armée, très dépassées en matière d’armement.

 En cas de guerre avec Israël tout porte à croire qu’elle aurait été balayée.

 À l’Ambassade, un repas nous attend dans un cadre magnifique et un parc ensoleillé.

 On discute de la guerre irakienne et de l’image de la France et des Français qui reste bonne…

 Il est maintenant temps d’aller saluer le ministre des affaires étrangères pour quelques minutes d’un entretien très cordial qui tranche avec celui du début d’après-midi.

 À 16h45 – Rencontre avec le Roi en son Palais. Un homme conforme à son image télévisée, charmant, charmeur, l’œil pétillant… dans son bureau où trône encore devant de multiples photos une où il serre chaleureusement la main de Sadam Hussein.

 Il parle beaucoup de la crise, de la France, des problèmes de la région.

 Il est prêt « à faire sa part ». Il va d’ailleurs rencontrer F Mitterrand ce vendredi pour en discuter.

 Chez lui, pas de rancœur mais une volonté d’aller de l’avant avec son éternelle énergie.

 Il ne cache pas une certaine angoisse devant la montée du « fondamentalisme » autrement dit de l’intégrisme religieux.

 Après une nouvelle course dans les rues d’Amman en voiture blindée, nous sommes à l’aéroport et après une courte conférence de presse, nous décollons en direction de Paris que nous devrions atteindre dans 5h30, c’est le moment de faire le point avec Laurent Fabius et de travailler sur le compte rendu de notre mission. 

En 36 heures, nous avons rencontré tous les interlocuteurs possibles :

–    chacun est bien conscient que nous sommes à un moment où la Paix peut s’enclencher.

–    Les positions de chacun ne semblent pas irréductibles,

–    Somme toute, nous revenons plutôt optimistes… mais….

 Un schéma semble possible :

–    Une démarche parallèle semble acceptable et acceptée :

– paix avec les pays Arabes et solution du problème palestinien

– calendrier nécessaire avec des étapes précises à définir

– nécessité de Paix

– rôle que dit vouloir et pouvoir jouer la Jordanie

– nécessité en terme d’impulsion et de garanties internationales les grandes nations pour donner une chance à la Paix.

Reste que ce schéma peut aussi bien se bloquer ou s’enliser que d’évoluer vers un véritable processus de Paix. L’avenir nous le dira ! …

Un dernier point : auprès des divers responsables que nous avons rencontré, le capital de confiance de la France ne semble pas avoir été entamé. C’est sûrement différent au niveau des opinions mais chacun sait que les opinions sont fluctuantes.

En ce qui concerne Laurent Fabius j’ai vécu à ses côtés un parcours mené avec rythme et sérieux.

Une mission utile et très professionnelle.

48 heures, voyage compris, voilà le type de mission que j’aime.

G Caudron

Le 28 mars 1991

Entretien avec Yitzhak Shamir : 16h30

« Après la guerre, l’espoir ? »

Peut-être la conscience se fait-elle jour que la violence ne mène à rien mais, on s’en doute,  « la bonne volonté ne suffit pas ».

Israël est prêt à partager et à faire un effort « considérable » si du côté arabe il y a la même volonté. (tel est le message  qu’il veut nous faire passer). 

Comment enclencher la mécanique de Paix pour débloquer cette période où tout est possible ?

Pour Yitzak Shamir : la France est une grande amie d’Israël et elle est en même temps amie des pays arabes et nous dit-il… « c’est un atout »

Pour Yitzak Shamir, fidèle à son image, le problème est « très compliqué ». Il faut à la fois régler la Paix avec pays arabes et régler problème palestinien, et ce, en même temps.

Israel voudrait bien travailler avec le Roi Hussein.

Ce sera, pour Yitzak Shamir, plus difficile avec les palestiniens. Il n’est pour lui pas possible d’envisager avec eux une solution permanente dès maintenant mais une solution temporaire sous forme d’une autonomie pour une période fixée et limitée.

Faut-il aller plus loin ? C’est la négociation qui le dira. Encore fait-il faire le premier pas.

C’est lors de la première négociation avec les Etats arabes que seront déterminés les interlocuteurs.

Ce n’est pas Israel qui choisira l’autre partie mais les Etats arabes.

Rien de possible tant qu’ils n’accepteront pas l’idée d’un phasage.

Pour Shamir la grosse difficulté est du côté palestinien mais, pour lui, il n’y a pas d’autre voie.

La France, l’Europe et les Etats Unis doivent avoir une influence modératrice et François Mitterrand, un rôle important à jouer.

Pour Shamir les choses vont bouger… positivement.

« Un jour on va fêter ensemble la PAIX » : Yitzhak Shamir. On voudrait le croire

Entretien avec Chaim Herzog Président de l’Etat : 17h30

Il sort de maladie. Il était à l’hôpital de Tel Aviv quand il tombait des SCUD irakiens sur la ville.

Pour lui, le danger dans la région, c’est le fondamentalisme islamique avec un pourcentage croissant chez les palestiniens de Gaza 50% et en Cisjordanie 30%.

Pour Mr Herzog beaucoup d’arabes israéliens et palestiniens commenceraient à s’en rendre compte.

Il y a des prémices d’une véritable guerre civile interne aux palestiniens.

D’une manière générale, pour Chaim Herzog le problème israelo arabe est à 90% psycologique et c’est cela le plus difficile…

Entretien avec Shimon Perez Parti travailliste – 18h15

Il dit vouloir aller vite et, pour cela, il affirme qu’Israël doit être prêt à faire de grosses concessions et le dire clairement. Il est prêt à négocier avec une délégation Jordanienne-palestinienne.

Il est pressé car pour lui dans un an il sera trop tard.

Il rappelle que la Cisjordanie c’est 4 000 km2 et Gaza, 350 km2 et que c’est donc insuffisant pour faire un Etat Palestinien.

Il faut donc démilitariser cette zone dans un accord Israël Jordanie. Le Roi Hussein est-il prêt à cela ? Ce n’est pas impossible.

Manifestement les dirigeants israéliens font confiance au Roi Hussein et ne lui tiennent pas rigueur de son attitude pendant la guerre contre l’Irak de S Hussein.

Shimon Perez attend des déclarations claires du Roi pour ouvrir des négociations profitables.

Les immigrés russes arrivent en Israël à raison de 1000/jours (près de 350 000 en 90, et 300 000 en 91).

(A titre de comparaison, c’est comme si en France il y avait entre 5 et 6 millions d’émigrants par an).

Cela pose un vrai problème aux travaillistes car ces nouveaux israéliens n’acceptent plus aucune référence au socialisme.

Pour Shimon Perez il faut que la France privilégie la solution jordanienne sur la solution « Arafat » qui restera longtemps inacceptable en Israël.

Seul le Roi de Jordanie peut gouverner une confédération comprenant la Jordanie, la Cisjordanie et Gaza.

Pour Shimon Perez il est évident que c’est une erreur de conserver Gaza : 700 000 palestiniens sur 350 km2. Israel ne possède pas ce territoire, « il en fait la police ».

Mercredi 7h45 : petit déjeuner avec des « intellectuels » israéliens 

Un tour de table sur l’état de la société israélienne, l’état des problèmes et les possibilités de trouver rapidement des solutions.

Un constat : il n’y a pas, à priori aujourd’hui, davantage de signe de Paix qu’hier.

L’ambiance est pessimiste :

Shamir est un nationaliste et les travaillistes « c’est la SFIO »…(ce qui, dans leur bouche, n’est pas un compliment).

Mais la guerre a montré les limites de la force. Alors… toujours la même question : comment faire pour démarrer le processus de Paix ?

Les intellectuels nous le disent : « Vous n’habitez pas Israel. C’est plus facile pour vous… »

Parmi la délégation israélienne, un arabe israélien.

Pour lui, il serait et il sera plus facile de trouver l’accord avec les palestiniens qu’avec les autres pays arabes.

Et c’est la seule réunion où malgré l’heure matinale l’atmosphère sera enfumée.

Il m’ont donné l’impression d’être déchirés entre leurs idées de justice et la volonté farouche d’être Israélien et de défendre leur pays.

Mercredi 9h05 : au tour de l’OLP et du PCP

Après quelques minutes à pied nous nous retrouvons sous un fort soleil au consulat de France pour y retrouver des Palestiniens.

Ils sont 12 représentants de toutes les sensibilités de l’OLP (oragnisation de libération de la Palestine) et du PCP (parti communiste palestinien).

Faissal Al Husseini, le chef de la délégation, va dire trois choses

–    On veut la Paix et on n’en est pas très loin

–    Israel doit respecter les résolutions de l’ONU

–    l’OLP est le seul représentant des palestiniens.

Chaque intervenant va insister sur la représentativité de l’OLP.

Le Maire de Bethléem va plus durement dénoncer l’absence de volonté de Paix de Mr Shamir en égrenant la litanie des mesures prises contre les palestiniens.

Chacun ira ensuite de sa dénonciation « des multiples atteintes au Droit ».

Il est 10h45 pour une courte conférence de presse d’un quart d’heure dans les salons du King David Hôtel.

Et on se rend chez David Levy, ministre des Affaires Etrangères. Le contact est chaleureux mais l’homme est très conservateur. C’est la branche dure du Likoud.

À son tour, il introduit la Jordanie dans le jeu diplomatique mais aussi la Syrie qui lui semble avoir changé de position.

Très fermement Mr Levy refusera l’idée d’un Etat palestinien en Cysjordanie que David Levy appelle : « la Judée et la Samarie ».

En réponse à ma question sur l’annexion des territoires occupés, la réponse de David Levy sera claire : il n’y aura pas d’annexion…

question de langage sans doute…

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